JOURNAL DE MARCHE DU CAPITAINE LANDRIAU

                   
 

4°Escadron du 1°REC. 15 juillet 1925 au 14 octobre 1925.

15 juillet 1925: je suis en France, en permission de deux mois que je passe à Lunel Viel (Hérault ) pour mes fiançailles officielles... et mon mariage.
Vers la fin du mois d'aout, le colonel SALA, commandant le 1°Etranger de Cavalerie à Sousse (Tunisie) m'adresse une lettre me disant qu'il aura prochainement à désigner un escadron pour le départ sur un T.O.E (Théatre d'Opérations Extérieurs ) et que c'est le 4ème ( le mien ) dont le départ est envisagé.

Le 3 aout 1925 je reçois du Colonel un télégramme officiel me rappelant d'extrème urgence à la tête de mon Escadron.
Je prends le premier train pour Marseille et le premier bateau pour Tunis et j'arrive dans le minimum de temps à Sousse, où j'apprends que le Colonel SALA a reçu le 3 aout 1925 l'ordre de tenir un Escadron de son Regiment prêt à être transporté sur un T.O.E.

Le 4° Escadron est désigné et se tient prêt à partir à l'effectif suivant:

  • Capitaine LANDRIAU, Capitaine commandant.
  • Lieutenant ROBERT , Chef de Peloton.
  • Sous Lieutenant CASTAING, Chef de Peloton.
  • Sous Lieutenant DUPETIT, Chef de Peloton.
  • Lieutenant DE MEDRANO, Chef de groupe de mitrailleuses.

    Le 4° Peloton est commandé par l'Adjudant-chef GAZEAUX.
  • 160 gradés et cavaliers.
  • 170 chevaux.

    L'Escadron est pourvu de bats, mais ne peut recevoir de mulets qui seront touchés à l'arrivée à destination (1! sont prévus).
    Tous les officiers sont français.
    Quelques sous-officiers sont français, le reste de la troupe est en majorité russe et allemands avec quzelques individualités:
    anglais (1) , Serbes, grecs, Bulgares, Danois et Suisses, ou déclarés tels !
    A mon arrivée au quartier, je me fais présenter les situations, les officiers, les sous-officiers, la troupe et les chevaux destinés à constituer l'Escadron de Marche et le matériel.
    Tout a été parfaitement prévu par le Lieutenant en premier ROBERT qui a fort bien travaillé en mon absence et mis sur pied un magnifique escadron.
    Je me fais présenter les renforts en hommes que je ne connais pas.Deux appellent spécialement mon attention:
    L'un, un ancien général de l'Armée Blanche, Colonel Russe de l'Armée active à qui on a proposé le grade de Sous Lieutenant dans la Legion à pied; il a refusé préférant être 2°classe dans la cavalerie; il est volontaire pour partir aux T.O.E. A son engagement, il a accusé 40 ans, sa barbe blanche lui en donne 10 de plus.J'en fais mon agent de liaison.
    L'autre, me dit mon adjudant, doit vous connaitre, car dès qu'il a entendu votre nom, il est allé se faire raser le crane et les moustaches.A la présentation, je le reconnais de suite, il s'agit d'un ancien médecin major à trois galons que j'ai connu en 1918 au 23ème Dragons.Je le prends à part et il se confesse immédiatement et avec soulagement.
    Après la guerre, il n'avait pas assez d'inscriptions pour excercer la médecine et pas assez d'argent pour terminer ses études (un trentaine de mille francs). I décide de les jouer à Monaco, les perd et ne voit pas d'autre soluton que celle de s'engager au Regiment de Cavalerie de la Legion Etrangère.
    Il ne déparera pas la collection.
    J'en fais naturellement un infirmier sous les ordres du sous officier infirmier, que je soupçonne d'être un ancien médecin allemand qui fait preuve du reste de réelles qualités dans ses fonctions...
    Les quelques autres qui me sont présentés n'ont pas d'histoire...à raconter tout au moins.

    14 aout 1925:  Le Colonel reçoit l'ordre d'embarquer le 4°Escadron le 15 aout par voie ferrée pour Bizerte.
    Destination : Beyrouth.
    Embarquement en chemin de fer à la gare de Sousse le 14 aout 1925 à 19 heures.Effectif, sans changement.
    Départ de Sousse le 15 aout à 4 heures.
    Arrivée à Tunis à 11 heures.
    Transbordement pour changement de voie.
    Départ de Tunis 14 heures. Arrivée à Bizerte 19 heures.Débarquement.Cantonnement au Quartier du Train.
    Le Capitaine, Commandant le 4°Escadron reçoit l'ordre d'embarquer son escadron le 16 aout à partir de 6 heure du matin sur le PORTHOS courrier d'Extrème Orient, venant de Marseille, sur le pont duquel des écuries en planches ont été aménagées par des menuisieers entre Marseille et Bizerte.
    Le Commandant du navire a reçu l'ordre de pointer directement sur Beyrouth, en brulant Alexandrie.
    Les chevaux suspendus par des sangles sont déposés par des grues sur le pont.Embarquement sans incidents.
    Sont présents sur le pont: le Général ANTOINE, le Colonel SALA et une musique militaire qui au départ du bateau, à 16 heures joue l'air de la Légion Etrangère, l'Escadron et tous les assistants au "Garde à vous".
    Départ de Bizerte à 16 heures.Salut.

    Je me présente au Commandant du Transat et le prie de m'excuser auprès des passagers de l'encombrement que j'apporte sur le navire.En plus de mon unité, deux pelotons de Spahis envoyés en renfort au 12°Spahis embarquent dans les calles et les officiers se joignent à nous pour les repas (dont le Sous Lieutenant DIVARY) T.B.
    La salle à manger des passagers est pleine; aussi le Maitre d'Hotel se voit-il obligé de nous installer dans la salle à manger réservés aux enfants qui mangent une heure avant nous.
    Nous y sommes très bien et plus libres.
    La mer est bonne et le navire d'autant plus stable qu'il est très bien chargé.
    Le service de garde et de jour prévu jusqu'à destination.La nourriture pour tous s'annonce très bonne.Dans la soirée je monte sur le pont; Je constate que le service de surveillance est très bien organisé, le matériel destiné à faire boire et manger les chevaux très suffisant.
    Tout est calme et je vais me coucher tranquille.Avant de poursuivre l'histoire de ce voyage, je vais essayer de donner les raisons de ce départ si rapide, de dire un mot des Druzes que nous serons appelés à combattre et de la valeur de l'Escadron de Legion que j'emmène en Syrie.
    Nous reprendrons ensuite le récit où nous l'avons quitté.

            MOTIFS DU SOULEVEMENT DES DRUZES EN SYRIE.

    L'état de Syrie était alors formé par la réunion des deux états d'Alep et de Damas.Il y existait deux mouveements, tous deux musulmans, l'un favorable au mandant excercé par la France, l'autre hostile à ce mandant et qui s'intitulait Parti du Peuple.
    Il révait de la création d'une grande Syrie musulmane.Le Général WEYGAND avait réussi à annihiler ce parti du Peuple qui n'avait d'ailleurs rien de commun avec le peuple.Le Général SARRAIL, lui, consensit à tenir compte des désirs de ce parti du peuple et lui conseilla...de se constituer en parti.
    Un cartel pan-arabe se créa qui ne tarda pas à s'enhardir et à agir contre nous.
    Son chef, un ancien expulsé se livra à une violente propagande;Les élections municipales de Damas donnèrent trois sièges au nouveau parti.Durant l'été 1925, dans les mosquées, on priait pour ABD-EL-KRIM et on recueillait des fonds pour lui.Bientot le brigandage commença et, en juillet 1925, deux officiers français furent assassinés.
    Les convois n'étaient plus en sureté, le feu couvait sous la cendre...
    Après le départ du Général WEYGAND, les Druzes avaient réclamé le remplacement du Capitaine CARBILLET par un gouverneur druze.Le Général SARRAIL refusa de leur donner satisfaction et menaça les protestataires druzes de les traiter en factieux.
    Le Capitaine CARBILLET part en permission le 28 mai 1925.
    Dès son départ, les réclamations se multiplient, l'agitation se précise.
    Le Capitaine RAYNAUD, remplaçant du Capitaine CARBILLET, annonçait le départ d'une délégation druze pour Damas.Celle-ci ne fut pas reçue.
    Le Commandant Tony MARTIN, remplaçant à son tour le capitaine RAYNAUD, adressa un rapport dans lequel il indiquait que les Druzes étaient décidés à s'opposer au retour du capitaine CARBILLET, même par l'insurrection.
    Le mécontentement grandissait à Soueida; des rixes éclataient entre partisans et adversaires du mandat.

                   LE DRUZE

    Les moeurs au Djebel Druze sont primitives.
    Le Druze ne vit pas tout nu parcequ'il fait froid l'hiver chez lui.
    L'habitant n'a qu'un guide : la religion.
    Etrange religion: elle a deux branches: la spirituelle et la corporelle.
    La spirituelle comprend les prêtres, les chefs, trois sortes: les sages, les généreux.
    La corporelle incorpore les laiques.
    Deux espèces de laiques: les Princes et les Ignorants.
    Qu'ordonne cette religion ?

    Seuls quatre druzes en détiennent les secrets, du moins ils le disent, ce sont les chefs.
    Les Sages eux n'en connaissent que les mystères intérieurs, chose s'appliquant à la vie présente.
    Les Généreux n'ont de lumière que sur les mystères extérieurs, évènements après la mort.
    Le male qui succombe les armes à la main renait suivant sa classe dans le corps
    d'un lion, d'une gazelle ou d'un sage.

    S'il est déjà mort plusieurs fois en combattant, il va dans le Paradis Chimois, et là, il s'amusera tout le long de l'éternité.
    Ceci explique l'acharnement du druze au combat.
    Ce sont de très beaux guerriers, montant vigoureusement à cheval, se déplaçant avec une rapidité inouie dans un pays couvert de pierres volcaniques et de rochers, coupé de murettes, se dissimulant admirablement et utilisant parfaitement le terrain, marchant et se déployant comme les meilleurs troupes européennes, se servant bien de leur sabre et sachant charger avec impétuosité lorsque l'occasion s'en présente.
    Enfin toujours habitués à circuler le fusil dans le dos, les Druzes sont des tireurs merveilleux.
    Lorsqu'une colonne ou un convoi se déplace, une bande druze saura là ou le surveiller, sans se montrer, tant que cette colonne ou ce convoi ne se découvre pas.
    Mais, qu'un trou se produise, qu'un petit détachement se trouve momentanément isolé ou que la colonne s'étire démesurément, l'ennemi saura se précipiter à l'endroit voulu et rendre critique une situation qui semblait très bonne cinq minutes avant.
    Le Druze attaque rarement la nuit, il profite des ténèbres pour se déplacer et opérer des rassemblements.Il attaque généralement en utilisant au mieux sa grande précision au tir et à sa connaissance approfondie du terrain: il sait ce qu'il a à craindre de la mitrailleuse en plaine, aussi n'attaque t-il que lorsque les murettes et les rochers volcaniques lui donnent la possibilité de progresser et de se servir de ses armes sans trop de risques ou de danger.
    Renseignement intéressant pour les cavaliers, le Druze se déplaçant au galop sur des cailloux pointus quand la nécessité l'y oblige, il met à son cheval des fers pleins qui protègent entièrement la sole du pied, ne laissant qu'un petit trou au centre pour l'aérer.

                          DEBUT DES HOSTILITÉS COLONNE NORMAND

    Veers le milieu de juillet 1925, une bagarre se produisit à Soueda, au cours de laquelle un lieutenant français fut giflé.
    Devant ces mouvements qui s'aggravaient de jour en jour, un bataillon du 20° Tirailleur fut envoyé à Soueda.
    Il arrivait le 22 juillet au moment où un évènement d'une extrème gravité s'était produit à Kafer au sud de Souéda.
    Deux aviateurs français obligés d'attérir quelques jours plus tôt avaient été entourés par les Druzes qui s'apprétaient à les massacrer.Le petit prince ALI, un Attrach qui nous était resté fidèle, averti à temps, pu arriver assez tôt pour les délivrer. Il les prit sous garde: "ce sont mes hotes, dit-il, et on ne les touchera pas", et il leur donna asile dans une de ses résidences très voisines de là.
    une compagnie d'infanterie qui travaillait à des fouilles archéologiques dans le sud de Bosra fut mise en route pour aller chercher nos deux aviateurs incapables de quitter seuls la demeure d'ALI ATTRACHE sans être aussitôt fusillés.
    Cette compagnie, renforcée de deux pelotons du 12° Spahis sous le commandement du Capitaine MAILLET, l'ensemble de cette petite colonne sous le commandement du Capitaine NORMAND.La colonne arriva à Kafer le 21 juillet à midi.Les chefs reçurent les officiers, mais les prévinrent que si la colonne ne se retirait pas, ils seraient attaqués. "Qu'ils y viennent" répondit le capitaine NORMAND. Un millier de Druzes attaquèrent ces 200 hommes; le combat dura toute la journée et dans la soirée une soixantaine d'hommes à peine, presque tous blessés, purent regragner Soueda.
    Les capitaines NORMAND et MAILLET et tous les autres hommes plus de cent environ, avaient été tués.
    Dès le lendemain, le bataillon enfermé dans la citadelle turque de Souéda était encerclé; il avait heureusement une provision d'eau importante dans les citernes, des vivres de réserve et des chevaux de spahis qui pouvaient au besoin servie à alimenter la garnison.
    Enfin des munitions en quantité très suffisante et une bonne position de défense.
    Devant cette situation, le Général SARRAIL concentra 3000 hommes à Ezraa sous le couvert d'un bataillon qui soutint brillament le combat le 31 juillet.
    La colonne était placée sous le commandement du Général MICHAUD auquel était adjoint le Colonel RAYNAL. L'itinéraire choisi était celui de la route Ezraa-Soueda, route bordée à droite et à gauche sur tous son parcours par des rochers volcaniques et des murettes de pierre noire.
    Il était donc impossible pour l'artillerie et les voitures de sortir de cette route.
    Un autre itinéraire celui de Ghazalé-Messifré, Oum-Oualeb se présentait avec un terrain bien meilleur; si les voitures et l'artillerie roulaient sur une piste très bonne du reste, les environs immédiat permettaient à la cavalerie de manoeuvrer à toutes allures et les armes automatiques conservaient toute leur valeur.Le 2ème itinéraire était abandonné au profit de la bonne route.
    Le 2 aout, la colonne se mettait en marche sur Soueda.
    Le terrain ne permettant pas d'entourer le convoi, la colonne précédait ce convoi, lui même laissé à la garde  d'un bataillon malgache d'une valeur plus que médiocre. Par la suite la colonne marcha t-elle trop vite, le convoi trop doucement ? Il y eut certainement un manque de liaison et il y eut bientot 7 kilomètres de distance entre la colonne et son convoi.
    Les Druzes s'aperçurent vite de la faute et commandée par le Sultan ATTRACH en personne attaquèrent le convoi par des tirs bien ajustés, puis au sabre.
    Le convoi en entier tomba entre leurs mains, ainsi que la majorité des vivres et des munitions de la colonne.
    Le lendemain, le Général MICHAUD renonçant à sa marche en avant donna l'ordre de faire demi-tour et de reprendre la marche sur Ezraa.
    Les Druzes enhardis par leur succès de la veille attaquèrent sans répit la colonne à pied et à cheval, allant jusqu'à grimper sur les auto-mitrailleuses et passer leurs sabres par les ouvertures.
    L'artillerie tomba entre les mains et la colonne rentra précipitamment à Ezraa ramenant 385 blessés dont 23 officiers, laissant sur le terrain, 115 tués et par ailleurs il y eut des officiers et soldats disparus.

    C'était un désastre qui devait par la suite enhardir considérablement les Druzes étonnés d'un succès aussi complet.Heureusement qu'ils n'eurent pas la pensée, dans cette soirée du 3 aout d'aller attaquer la base d'Ezraa où le désordre était complet et le moral bas.
    Dans cette colonne la cavalerie avait été employée en avant garde, flanc-garde et arrière garde, comme c'est la logique de le faire, mais dans un terrain qui se prêtait aussi peu que possible à la manoeuvre.
    Voilà l'ennemi que nous allions affronter.J'avoue que je partais avec la plus grande confiance.
    J'avais formé mon escadron de Legion en 1921 à Saida près du réservoir d'hommes de Sidi Bel Abbès en Oranie.J'avais choisi de bons éléments parmi les Russes, des cosaques de préférence robustes, intelligents, montant énergiquement à cheval, excellents tireurs et débrouillards.Les allemands étaient comme toujours des soldats complets et les autres individualités venaient apporter à mon escadron ce mélange de races qui crée l'émulation.
    Les officiers, tous volontaires, étaient parfaits et si le 4 ème Escadron avait été choisi pour partir le premier, c'est que mes supérieurs avaient confiance en lui et qu'il leur semblait le plus au point.

    Sur le PORTHOS, le 17, 18, 19 aout 1925, en mer.

    20 aout 1925
    , arrivée à Beyrouth à 16 heures.
    Je donne l'ordre pour le débarquement.Tout le matériel a été rassemblé sur le pont où se trouvent déjà hommes et chevaux.Chaque Chef de Peloton s'occupera du débarquement de son Peloton, l'adjudant de celui du matériel.
    Je vais saluer le Commandant du Navire, le remercier de son amabilité, et lui promets que les opérations de débarquement seront terminées pour 19H30 au plus tard, ce qui lui permettra de quitter le port de Beyrouth avant 20 heures, comme il le désire.
    A condition toutefois que les grues qui doivent transborder les chevaux et dont sont chargés ses officiers techniciens fonctionnent à plein.
    Dès que le navire a accosté, je descends sur le quai et me présente au premier officier que je rencontre: Le Lt-Colonel GARCHERY, Chef de l'Etat-Major, qui me dit:
    "L'heure est grave " , vous devez partir demain matin.
    Je vais me présenter au Général SARRAIL, lui dis tout ce que je dois faire demain pour mettre au point mon Escadron.
    Il me demande:
    "Etes vous sur de votre Escadron ? "
    Je lui réponds par l'affirmative et il dit alors à son chef d'Etat-Major:

    "L'Escadron LANDRIAU restera 24 heures à Beyrouth, vous veuillerez à ce que dans la matinée de demain il puisse toucher tout ce qui lui est nécessaire".

    A 19 heures, le débarquement est terminée.

    Au fur et à mesure, les chevaux ont été sellés.Le matériel chargé sur des voitures est amené au quartier par un sous-officier des spahis.
    Quant à l'Escadron, le Général a donné des ordres pour qu'il défile "Sabre au clair" dans toutes les rues importantes de Beyrouth pour en informer la population.
    L'Escadron est cantonné dans un Quartier de cavalerie et, tandis que hommes et chevaux mangent et se reposent, des officiers de spahis nous emmènent à leur popote.
    Il fait à Beyrouth, à cette époque, la même température qu'en Tunisie, une chaleur humide, assez désagréable, mais supportable.
    Toute la matinée est employée à toucher les 18 mulets qui sont beaux, à leur affecter un bat à leur taille, à toucher les vivres de réserve et les munitions.
    L'après midi, à répartir chaque charge sur leur bat: cantines, tentes, popotes.A distribuer les munitions et les vivres de réserve sur les hommes, les paquetages et les bats et bien soigner les chevaux.
    Dans la soirée, je suis prévenu qu'au mois d'aout, les estivants sont nombreux.
    Les habitants de Beyrouth fuient la chaleur et vont chercher la fraicheur dans la montagne.
    Mais au matin, les officiers qui regagnent leur service, les commerçants et tous ceux qui ont un travail à Beyrouth, dévalent les pentes du Liban avec de fortes voitures à allure exagérée.
    Je prends des dispositions en conséquence et désigne le maréchal des logis Bisseroff, ancien capitaine de gendarmerie russe, homme imposant et calme pour former l'avant garde avec un groupe de combat.
    Mission: marcher à 100 mètres environ de la colonne et arrêter toutes les voitures descendant vers Beyrouth.
    Ce service s'est révélé très efficace et a parfaitement fonctionné le lendemain.
    Le soir, à l'appel, il manquait 6 hommes.
    Après enquète, leur fidélité à la Legion ne semblait pas devoir être mise en doute; il était donc logique d'accuser l'arach, alcool du pays assez traite...même pour des hommes habitués à la vodka !!!
    Un officier, "De MÉDRANO" je crois, découvre un breack rapidement attelé et occupé par une équipe solide.Un libanais connaissant la ville, servira de guide dans les boites de nuit et les cafés.Après deux heures de recherches, le breack revenait triomphalement avec les 6 hommes retrouvés, mais ivres morts naturellement.Je prépare dons pour le Général SARRAIL un compte rendu assez bref lui rendant compte que je prends la route de Damas avec un escadron au complet, prêt à faire face à toutes les circonstances et je le remercie de la confiance qu'il m'a témoignée.
    Pour plus de sureté, peut-on jamais savoir, ce compte rendu ne sera envoyé que le lendemain matin, au moment du départ.

    22 aout 1925: Etape Beyrouth-Bahmdoum 30 kilomètres.

    L'Escadron au complet quitte le quartier à cheval, mais met pied à terre dès qu'il aborde les fortes pentes de la montagne.
    Presque toute l'étape est faite à pied pour ne pas fatiguer les chevaux qui ont un paquetage très lourd.

    23 aout 1925: Etape Bahmdoum-Moallagua 25 kilomètres.

    A 15 heures, l'Escadron embarque dans rois trains à destination de Damas.

    24 aout 1925: Arrivée à Damas à 2H 15 pour les deux premiers trains, à 5H40 pour le troisième.Débarquement.
    J'essaye d'entrer dans les souks, mais je suis arrêté par un militaire à l'entrée.
    On vient d'assassiner dans les souks un cycliste , agent de liaison.
    Tout le paté de maison est consigné.

    25 aout 1925: Damas ou l'Escadron est alerté.Le Sultan ATTRACH avait réussi à gagner à sa cause un certain nombre de cavaliers transjordaniens, ais n'avait pas d'argent pour les payer.Pensant qu'un jour ou l'autre des renforts arriveraient, Sultan ATTRACH envoya ses Druzes, ses bédouins et ses transjordaniens sur Damas où ils pourraient se payer facilement.
    Il comptait de plus sur un soulèvement de la population indigène.
    1500 cavaliers se mirent ainsi en marche dans la nuit.
    Ils avançaient en formation massive, précédés d'une avant-garde et couverts sur les arrières, évitant soigneusement la grande route.
    Ils comptaient arriver aux portes de Damas juste à la tombée de la nuit.
    Le premier avion qui les aperçut, leur lança 16 bombes qui produisirent de grands ravages dans leurs rangs, puis il les attaqua à la mitrailleuse.
    Les bédouins lachèrent pied les premiers.
    Notre aviation qui pouvait se réapprovisionner rapidement en explosifs ne cessa de harceler les colonnes ennemies.
    Cependant vers 14 heures, 5 ou 600 cavaliers plus résolus que les autres arrivaient sur une crête qui domine un ruisseau devant le village d'Alye à 10 kilomètres de Damas à peine.
    Mais à Kisoue arrivait le 21 ème Spahis Marocain (Colonel MASSIET ) :
    Le point de Kisoue était bien placé pour permettre d'attaquer le flanc d'une colonne se portant sur Damas.Le combat commença à 14H45 .
    Ebranlés déjà par l'action des aviateurs, Druzes, bédouins et autres furent attaqués vivement.Avant la nuit l'ennemi lachait, refoulés en tous sens: les fuyards se réfugiaient dans les villages des environs.
    Avec l'obscurité cependant ils se ressaisirent un peu et formèrent une caravane de chameaux pour enlever leurs morts qui étaient nombreux.
    De notre coté, nous avions à déplorer la mort d'un jeune et brillant officier:
    le Sous-Lieutenant GAILLARD (21 ème Spahis) tué d'une balle à la tête, tandis qu'il chargeait à la tête de son Escadron de Spahis.
    Une Compagnie de la Legion Etrangère envoyée de Kisoue pour appuyer le mouvement de la cavalerie n'avait pu prendre part à l'action.La leçon venait à propos, Damas venait d'échapper à un grave danger, la population damasquine travaillée par de subtiles agents pouvait nous ménager de facheuses surprises.Pendant ce combat, l'Escadron du 1er Etranger de Cavalerie alerté, mitrailleuses en batterie, était prêt à intervenir sur un point quelconque de la ville où au cours de cette journée il y avait eu plusieurs paniques provoquées par les cris : "les Druzes". Malheureusement, il va falloir quitter bientôt Damas.

    26 aout 1925  Etape Damas- Khan Denoum

    Par les jardins de Damas qui ont une mauvaise réputation, aussi, l'Escadron se garde t-il, bien appuyé par une compagnie de mitrailleuses du 5/4° Etranger qui l'accompagnera jusqu'à Kerbet-Ghazalée où elle retrouvera son Bataillon, bivouac dans l'ancienne forteresse turque.

    27 et 28 aout 1925  Repos à Khan-Denoum.
    L'Escadron reçoit l'ordre de gagner par voie de terre Ezraa puis Kerbet-Ghazalée avec la compagnie de mitrailleuses M.M.5.

    29 aout 1925  Etape Khan- Denoum-Dharagit 20 kms.

    30 aout 1925  Etape  Dharagit-Moulin de Dilly 32kms.

    31 aout 1925 Moulin de Dilly-Ezraa 14 kms.

    1 septembre 1925  Ezraa- Kerbet-Ghazalée.

    2 septembre 1925  A Kerber-Ghazalée dans la plaine du Hauram, je rejoins le Bataillon KRATZERT du 5/4° Regiment Etranger.
    Avec des compagnies de ce Bataillon nous opérons tous les deux ou trois jours des reconnaissances sur les confins du Djebel Druze.
    Ces reconnaissances commandées par un Chef de Bataillon ou un Capitaine auront la composition suivante selon leur importance:

    - 1 ou 2 compagnies ou 1 bataillon.
    - 1 ou 2 escadrons de cavalerie, 1 peloton d'A.M.C. (automitrailleuse de combat)
    Celle du 2 septembre, sous le commandement du Capitaine Landriau comprend:
    -Le 4ème Escadron du 1er Etranger de Cavalerie, 1°Compagnie et 1 S.M (section mitrailleuse) du 5/4 RE, 1 peloton d'AMC, officier de renseignement, Capitaine HUGUENET.

    But: Encerclement du village d'HERAK.
    Départ 1H30, au petit jour le village est encerclé, un bédouin est pris, un autre est tué par le Margis (Maréchal des Logis) PRIMAK.
    Retour à Ghazalée à 10H30, l'Escadron fait une excelllente impression.
    Ces reconnaissances ont pour but:
    - mettre en confiance la population.
    - reconnaissance des pistes au point de vue circulation possible des AMC, de l'artillerie et des camions.
    - ressources en eau.
    - points d'atterissage pour avions.

    3 septembre 1925  repos à Ghazalée.
    Chaque jour le ravitaillement arrive par train blindé.

    4 septembre 1925  Reconnaissance sur Cherkhie, Gharbie et Messifré, 1ère Compagnie de Legion et 4ème Escadron du 1er REC.
    Les officiers de renseignements prennent contact avec la population.
    Retour de Oum-Oualeb à 8h30 pour Messifré.
    Vus: 40 cavaliers Druzes environ qui nous observent de loin.Retour à Gharbié à 14 heures;
    A Ghazalée à 15H30.

    5 et 6 septembre 1925  Ghazalée.

    7 septembre 1925  Reconnaissance sur El-Meliba-Gharbie.

    Reconnaissance de Ghazalée : 4 ème Escadron du 1er REC.
                                                1ère Compagnie du 5/4 RE.
                                                1 Peloton d'AMC d'Ezraa.
                                                1 Compagnie de Tirailleurs.
                                                1 escadron du 12ème Spahis, Capitaine CROS MAYREVIEILLE.
                                                Commandant: Chef de Bataillon KRATZERT.

    Départ de Ghazalée 2H30.

    Jonction à Merak avec colonne venant d'Ezraa : 5 heures.
    Officiers de renseignement: Capitaine HUGUENET, TAQUET, TEZE.
    Rien à signaler, colonne de retour à 11 heures.


    8 septembre 1925  Ghazale

    9 septembre 1925  Reconnaissance sur Messifré
                               4ème Escadron Legion
                               1 er escadron du 12 ème Spahis
                               2 peloton d'AMC

    La gendarmerie (Karacol ) de Messifré  a été brulé la veille par un détachement d'environ 300 Druzes.

    10 septembre 1925  Ghazalé.Visite du Général VALLIER.

    11 septembre 1925  Ghazalé

    Le Bataillon du 5/4ème RE, Commandant KRATZERT
    Le Peloton d'AMC du 8ème Escadron.
    Le 4ème Escadron du 1er Etranger de Cavalerie, Capitaine LANDRIAU, reçoivent l'ordre de se porter le 11 septembre 1925 de kerbet-Ghazalé sur Messifré et de s'y établir.
    Mission:  
    Tenir le village de Messifré et le mettre à l'abri des insultes de l'ennnemi.
    Permettre à Messifré, l'établissement d'un point d'eau et d'un dépot de vivres et de munitions en vue d'opérations ultérirures.
    Assurer la sécurité dans le rayon où le commandement du détachement le jugera utile.
    Le mouvement de la colonne sera accompagnée du 4ème Escadron du 12 ème Spahis qui rejoindra Ghazalé le 14 septembre.
    Exécution du mouvement sur Messifré.

    12 septembre 1925  Messifré : organisation.

    13 septembre 1925  Reconnaissance du Général MICHAUD sur les côtes 779 et 783, à 4 kms ouest d'Oum-Oualeb.
    4 ème Escadron du 1°Etranger de Cavalerie
    4 ème Escadron du 4 ème Spahis
    Le Peloton d'AMC
    Départ 10 heures; Retour 13H30.

    Le Général MICHAUD au retour, trouve que mes chevaux sont très bien protégés.
    Je lui réponds:
    "Mon Général, c'est une question de fil de fer ! si vous m'en envoyez, oui, si vous ne m'en envoyez pas, l'ennemi s'infiltrera comme il voudra par les maisons du village et il n'en restera pas"

    Il n'en a pas envoyé.

    14 septembre 1925  Messifré

    15 septembre 1925  Messifré.
    Je donne l'ordre à mes chefs de peloton de sortir leurs chevaux pendant deux heures en évitant la direction d'Oum-Oualeb et allant dans la direction Ghazalé.
    Un des Pelotons par erreur....ou par curiosité fera une pointe dans la direction interdite.
    Comme tous les jours depuis que nous sommes içi, un arménien vient vendre des fruits à proximité du Poste de Commandement du Commandant KRATZERT.

    16 septembre  Reconnaissance de la côte 779 à 3 kilomètres de Oum-Oualeb par:
    le 4 ème Escadron de la Legion.
    1 compagnie de la 5/4 RE.
    1 section de mitrailleuses.  Sous le Commandement du Commandant KRATZERT
    1 peloton d'AMC.

    Nous prenons le dispositif habituel; je détache:
    un peloton en arrière garde.
    un peloton en avant garde gauche.
    un peloton flanc garde droit (celui qui avait été trop curieux hier, en lui disant
    "Vous connaissez déjà le terrain ? ")
    un peloton arrière gauche.
    Le Groupe de Mitrailleuses à mes ordres au centre près du commandant de la colonne.
    En arrivant à la côte 779, l'ennemi apparait de toute part cherchant à encercler la petite colonne.
    Le Peloton ROBERT, flanc garde droite est sérieusement accroché, le maréchal des logis PAVISKY est tué et deux cavaliers blessés en allant reconnnaitre un rocher; le corps du M.D.L est emporté par les Druzes au grand galop.
    Le Commandant KRATZERT ayant terminé sa mission donne l'ordre de retour à Messifré.
    Par une manoeuvre combinée des AMC, de la Cavalerie et de l'Infanterie de la colonne on réussit à se décrocher et à se débarasser de l'étreinte de l'ennemi qui se faisait de plus en plus étroite.
    La colonne avait été attaquée par 7 à 800 cavaliers (Source Service de Renseignements) .

    Messifré s'étale irrégulièrement en largeur et en profondeur.Il développe une périphérie de 3, 5 kilomètres environ.
    Le Chef de Bataillon choisit donc aux abords du village six positions qui furent vite entourées de murettes protégées par quelques vagues réseaux bruns.
    Positions se flanquant réciproquement.Mais pour tenir ces six positions, le bataillon était insuffisant; aussi le Commandant KRATZERT demanda t-il l'autorisation de conserver le 4ème Escadron du 1 er Etranger de Cavalerie avec lequel il avait pris l'habitude de marcher et qui devait initialement retourner avec les Spahis à Ghazalé.
    Le Bataillon occupait donc les abords du village et son Escadron, le réduit où se trouvait le Poste de Commandement du Commandant KRATZERT, son Etat Major, le Poste d'Observation, le marabout, les Pelotons CASTAING et DUPETIT, le groupe de mitrailleuses de MÉDRANO et mon Poste de Commandement.
    Les chevaux de l'Escadron, nos 18 mulets, les mulets du bataillon 5/4 REI étaient derrière des murs à proximité du réduit, défendus par le Peloton ROBERT, un groupe de Commandement de l'adjudant chef GAZEAUX, les 20 muletiers, enfin le T.C. et les muletiers du bataillon.Un peloton d'MAC fut envoyé  en renfort.
    La garnison de Souéda était toujours étroitement encerclée.La caserne qui abritait le bataillon assiégié recevait tous les deux ou trois jours, une quinzaine d'obus pris par les Druzes à la colonne MICHAUD.
    Les avions venaient chaque jour apporter le ravitaillement et des ordres.
    Enfin les appareils optiques de la forteresse communiquaient chaque soir avec le marabout de Messifré.Dans la soirée du 1§ septembre 1925, le Poste encerclé de Souéda faisait parvenir au Poste Optique de Messifré, les messages suivants:
    "Plus de 3000 Druzes, étendards déployés se portent en direction de Messifré: attaque probable cette nuit " .
    L'alerte est immédiatement donnée à Messifré par le Chef de Bataillon et les emplacements de combat sont occupés.
    La reconnaissance du 16 septembre, rentré à Messifré avait du faire croire aux Druzes qu'ils avaient fait battre en retraite l'avant garde de la colonne GAMELIN.
    Le souvenir du 3 aout, où faute d'une poursuite tenace, ils n'avaient pas achevé notre échec en désastre complet les excita à exploiter ce qu'ils considéraient comme un succès.
    Ils se crurent certains de nous écraser avant le départ.


                                                            L'ATTAQUE:

    Je suis de garde au réduit jusqu'à la nuit.Nous dinons tranquillement en parlant de l'attaque possible, puis je commence ma veille en bavardant le long des murettes avec les gradés de garde à la même heure.Tout est calme...trop calme ; habituellement avec la nuit...les chiens des villages aboient et se repondent...ce soir rien; comme si on les avait enfermés. Les chacals, qui par bandes importantes et dans une galopade effrénée passaient en aboyant près des villages ont disparu.C'est anormal et j'en rends compte au Commandant.
    Vers 23 heures, le bruit de quelques coups de fusil venant de très loin parvient jusqu'à nous.
    A minuit, un Capitaine du bataillon vient me remplacer de garde; je lui fais part de ce que j'ai remarqué et fume quelques cigarettes en bavardant avec lui.
    A 1 heure du matin, je parle à un de mes sous-officiers quant un coup de feu partant à 50 mètres de nous claque; mon sous-officier POPOFF, je crois, tire au jugé sur la lueur, puis c'est le signal de l'attaque qui se déclenche avec une violence inouie; je hurle "Aux Armes " et constate immédiatement que tout le monde est prêt au combat.
    Des vaques de fantassins suivis de cavaliers se précipitent sur les ouvrages, l'attaque principale prononcée sur le réduit tenu par le 4 ème Escadron et où se trouve le Poste de Commandement, le marabout poste d'observation, le point d'eau et le bivouac des chevaux.
    Tous nos hommes sont au coude à coude  et répondent aux tirs des Druzes par des tirs bien ajustés; les mitrailleuses font des ravages dans les rangs ennemis, mais celui-ci a pu s'infiltrer entre les ouvrages et pénétrer en grand nombre dans le village où ils savent qu'ils trouveront des alliés chez les habitants.
    Le bivouac des chevaux est défendu avec acharnement, lesF.M font des sillons sanglants dans les rangs de l'ennemi qui arrive jusqu'au corps à corps.L'adjudant-chef GAZEAUX est blessé d'un coup de sabre, tandis qu'un légionnaire, très calmement tue cinq Druzes qui se présentent successivement devant sa murette, mais les défenseurs, malgré leur héroisme, sont submergés par le nombre et doivent en combattant, se replier, pied à pied sur le réduit où se trouve le gros de l'Escadron.Un grand nombre de chevaux sont tués pendant cette phase de combat, tandis que d'autres arrachent leurs entraves ou ont leurs entravent coupées par des habitants du village.Ces chevaux ou mulets sont tués dans les rues du village où ils cherchent à fuir.
    Devant le réduit où chacun tient sa place, décidé à en interdire l'accès à l'ennemi, une hésitation se produit: une quarantaine d'hommes se précipitent en criant:
    "Halte, Legion ne tirez pas " ; Le feu cese, mais je me doute d'une ruse des Druzes; j'ai à la main
    le pistolet lance-fusée, je tire, la fusée surprend les Druzes couchés qui se lèvent et je cris "Feu" . Le commandement est exécuté au cri de "Vive la Legion" et les rafales serrées et bien ajustées.
    Je m'approche d'une murette et je sens deux bras robustes qui me saisissent par les épaules m'obligeant à me baisser;
    j'ai un mouvement de révolte et reconnais le M.D.L POPOFF, magnifique cosaque aux yeux bleus, au visage fin;
    il me dit avec un bon sourire qu'il a toujours quand il me parle :
    "Içi, je suis colonel, et je ne veux pas que vous soyez tué dans mon secteur" .
    Je reste accroupi à coté de lui et il me demande comment celà va t-il se terminer ?

    Je lui réponds que celà dépend de leur nombre que j'ignore, mais il faut tenir jusqu'au petit jour et à ce moment nous les aurons surement.
    Un porte étendard est tué à 4 mètres de la murette.
    Une dizaine de Druzes arrivent à monter sur le marabout et nous font subir des pertes.
    Le sous-Lieutenant DUPETIT parait anxieux et me cherche; je vais à sa rencontre, et il me dit que derrière la gendarmerie, son peloton se trouve sous le feu de l'ennemi, qu'il a un homme de tué.
    A ce moment une balle qui me frole l'oreille, l'atteint en plein front.
    La balle tirée de très près certainement fait éclater sa boite cranienne qui devant moi s'ouvre comme une boite.
    Il reste une seconde la bouche ouvrte, puis tombe raide mort.
    Je vais voir son peloton qui en effet est mal placé et peut subir des pertes du fait des Druzes et d'un ouvrage de la Legion (Bataillon) . Je les place mieux moi-même à l'abri d'une murette, le les calme, appelle le sous-officier de peloton et lui dis que le sous-Lieutenant DUPETIT a été tué et lui donne le commandement du peloton.
    Le maréchal deslogis PRIMACK qui était très bien et pouvait avoir un bel avenir, et plusieurs légionnaires sont tués par des tirs plongeants d'ennemis montés sur le marabout.
    Je prends à part l'adjudant SIEURAC et lui donne l'ordre, avec un groupe de combat de reprendre le marabout.
    Après une demi heure de combat, il aura accompli sa mission tuant sur place ses adversaires.

    Mon ancien général russe au cours de cette bataille a été magnifique.
    C'était mon agent de liaison particulier, et, au plus fort du combat, portant un ordre à un de mes chefs de peloton, il a eu le bras gauche traversé par une balle.
    Calmement, il a rempli sa mission est allé se faire panser à l'ambulance, puis est venu se mettre devant moi au "garde à vous" , le bras gauche en écharpe, la main droite à la visière pour me dire :
    "Mon capitaine, à vos ordres ".Jusqu'à la fin, il a rempli, avec une conscience admirable cet emploi simple mais périlleux qu'est celui d'agent de liaison.
    Je l'ai proposé pour la Médaille Militaire qu'il a obtenue avec la Croix de Guerre des T.O.E avec palme...et il en était très fier.

    Pendant six heures, la bataille fait rage devant chaque réduit mais dès sept heures du matin, la partie était gagnée.L'ennemie vaincu cherchait à battre en retraite et était tiré par nos légionnaires à l'affut.
    De nombreux Druzes étaient encore dans le village, les renforts réclamés depuis le matin allaient ils arrriver à temps pour en permettre son nettoyage rapide ? ... Non !!
    Car le bataillon du 16ème RTA ( Régiment de Tirailleurs Algériens du Colonel DAMONT) n'arrivait qu'à 16H30, je n'ai jamais su pour quelle raison.
    Dans cette action, l'ennemi avait tout fait pour emporter ses morts et ses blessés, il avait réussi, en partie, en profitant de la nuit, mais pas complétement, puisqu'il laissait devant nos murettes plus de 300 cadavres et 8 drapeaux.
    Il avouait le lendemain sa défaite ;
    les pertes suivantes inférieures à la réalité : 300 tués et 500 blessés.

    Dès que nous avons pu sortir du réduit, j'ai pris par le bras le maréchal des logis POPOFF qui au jugé avait tiré le premier coup de feu sur la lueur du coup parti de la terrasse, l'emmenai chercher une échelle et nous montions ensemble sur la terrasse d'où s'emblait être parti le signal de l'attaque.
    L'Arménien qui nous vendait des fruits depuis notre arrivée, chaque jours, dans le réduit, était couché à nos pieds, une balle en plein front...
    Le coup avait fait mouche.
    Pendant la bataille du 17 septembre  , l'Escadron avait subi des pertes sévères en officiers, gradés et hommes; tous les chevaux et mulets étaient tués et une grande partie des paquetages et du matériel avaient été pillés par les Druzes.
    Le bataillon KRATZERT, l'Escadron LANDRIAU et le Peloton d'AMC recevaient dans la soirée les témoignages de satisfaction du Commandement.
    Ces unités étaient proposées pour une citation à l'Ordre de l'Armée.
    Le premier renfort fut l'Escadron du 12 ème Spahis du Capitaine CROS MAYREVIEILLE, qui devait plus tard se battre à nos cotés à Rachaya.

                                                 PERTES DE L'ESCADRON à MESSIFRE

                                                                 TUÉS :

    Un officier :                              le sous Lieutenant DUPETIT
    Trois sous officiers :                BOROLOVSKY, PRIMACK, SCHELLMANN

    Brigadiers et légionnaires : 21 + 4 = 25.

                                                                  BLESSÉS :

    Deux officiers :                           Lieutenant Robert et de MEDRANO
    Deux sous officiers :                   Adjudant chef GAZEAUX
                                                    PEYGARD

    Brigadiers et legionnaires : 20 + 4 = 24.

    Au cours de la défense, les cavaliers du 4ème Escadron se sont tenus au coude à coude avec leurs camarades du 5ème Bataillon du 4ème Régiment Etranger et ont fait preuve au combat de l'entrain, de la ténacité et du calme nécessaires devant l'atttaque aussi serrée d'un ennemi brave et très mordant.
    Malgré ses 165 chevaux et 18 mulets tués, la colonne GAMELIN peut se porter sur Souéda ;
    le moral des Druzes est atteint et le plus gros travail préparatoire a été fait au cours de cette nuit du 16 au 17 septembre 1925.

                 BEYROUTH le 26 septembre 1925: ORDRE GENERAL N°351.

                                 Le Général, Commandant en Chef cite

                                 à l'ORDRE DE L'ARMÉE DU LEVANT

         Le Bataillon de Marche de la Legion Etrangère comprenant l'Etat Major, sous les ordres du Chef de Bataillon KRATZERT, le 4ème Escadron du Regiment Etranger de Cavalerie, sous le commandement du Capitaine LANDRIAU.
    Les autos-mitrailleuses opérant avec le détachement.
    Placés à un poste avancé de la colonne du  Djebel Druze et , attaqués le 17 septembre par un parti ennemie évalué à trois mille cavaliers et fantassins, ont tenu bon contre cette attaque poussée à fond et jusqu'au corps à corps.Ils ont infligé aux Druzes des pertes considérables et après 6 heures de lutte, les ont contraint à se replier, abandonnant sur le terrain plus de 3000 morts et laissant huit drapeaux entre nos mains.

    Le Commandant en chef de l'Armée du Levant. General SARRAIL

    18 septembre 1925. Messifré

    Nous envoyons un message de remerciements dans la soirée au Poste de Souéda.

    19, 20, 21 septembre 1925  Messifré

    Les troupes destinées à former la colonne GAMELIN pour la délivrance du bataillon encerclé à Souéda commençait à arriver à Messifré et formaient un bivouac au sud ouest de ce village.
    Le 4ème Escadron de la Legion devait fournir l'avant garde à cette colonne, et c'est avec regret, n'ayant plus de chevaux que nous avons du renoncer à cette belle mission.
    L'itinéraire choisi par le Général GAMELIN était jalonné par les villages de Ghazalé, Oum-Oualeb, le Tell-Hadid et Souéda.
    Cet itinéraire présentait l'avantage considérable de se trouver dans une région où les pierres volcaniques n'existaient qu'en très petites quantités.
    La cavalerie pouvait y manoeuvrer librement, les autos-mitrailleuses, l'artillerie, les ambulances autos, les voitures hippo-mobiles pouvaient rouler facilement sur une piste en excellent état.
    Un seul passage délicat, celui dominé par le Tell-Hadid, encore cette position pouvait elle être tournée facilement et occupée par nos troupes pour faciliter le passage de la colonne.
    Un inconvénient qui du reste existait sur tout autre itinéraire qui aurait pu être choisi :
    la question de l'eau par un été particulièrement  sec.
    A Messifré des convois de chameaux importants avaient été envoyés pendant que nous occupions le village, avec des récipients contenant de l'eau pour remplir les birkets ou trous creusés pour prendre la pierre indispensable à la construction des maisons (mais nécessité de garder ces réservoirs d'eau pour empêcher leur empoisonnement ).

    22 septembre 1925

    Dans la soirée, il y a une fausse alerte, et un régiment de Tirailleurs brule de nombreuses cartouches.Les officiers arrivent à calmer les esprits et le reste de la nuit est calme.

    23 septembre 1925

    Depart de la colonne GAMELIN pour le Djebel Druze, Direction Souéda.

    A Messifré, je prends avec mon Escadron à pied, l'emplacement de l'ancien bivouac pour garder la base et les approvisionnements de réserve de la colonne (1, 5 kilomètres de Messifré) .
    Quelques officiers farceurs me disent:
    "Vous allez voir, Les Druzes vont négliger la colonne qu'ils trouveront trop dure à avaler et vont s'attaquer à la base pour s'offrir les réserves en vivres et en munitions : c'est encore vous qui allez trinquer " .
    Nous en rions, mais dès le matin nous nous sommes mis au travail pour renforcer les défenses, cette fois j'ai du fil de fer...barbelé et j'en profite :
    Lorsque le soir avec CASTAING, le seul officier qui me reste et l'adjudant SIEURAC, nous inspectons la position, nous avons le sourire, l'Escadron a bien travaillé et nous avons des munitions à profusion, l'ennemi peut s'y frotter, i l sera reçu.
    Nous n'y serons pas attaqués, petit à petit mes officiers blessés reviennent, nous toucherons des chevaux et l'Escadron se remontera.

    24 et 25 septembre 1925  Messifré.

    Rien à signaler.

    26 septembre 1925

    La délivrance du Bataillon de Souéda s'est effectuée sans difficulté et la colonne GAMELIN revient sans accrochage sérieux, bivouac à Messifré le 26 septembre, mais le soir , nous apercevons une haute fumée noire s'élever au dessus de Souéda.
    Les Druzes voyant la colonne abandonner le Djebel considèrent cette marche dans le vide comme un échec et ont mis le feu à la citadelle....
    Il faudra y retourner dans quelques jours.

    27 septembre 1925

    Le 4ème Escadron du 1er Regiment Etranger de Cavalerie fait mouvement à pied de Messifré à Kerrret Ghazalé et en y arrivant touche 63 chevaux.

    28, 29, 30 septembre 1925   Ghazalé

    1 octobre 1925

    Départ de la deuxième colonne GAMELIN sur Souéda.
    L'Escadron n'en fait pas partie, il se reforme sur place.


    2, 3 octobre 1925   Ghazalé

    4 octobre 1925  
    L'Escadron fait mouvement par voie ferrée sur Rayac.

    5 au 13 octobre 1925  Rayac

    Où je fais connaissance du Colonel d'aviation BERDALI.

    14 octobre 1925

    Les éléments montés de la Legion (4ème Escadron) et l'Escadron CROS-MAYREVIEILLE du 12ème Regiment de Spahis partent pour la colonne de l'Hermon.

     

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