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Bien au-dessus de la mer où dorment quelques
mahonnes gardées par un baharia nonchalant, au delà de la kasba qui domine
la ville de Sousse commence la belle route de Kaalashira qui conduit au
camp des tirailleurs, au quartier de la Légion à cheval et, pour les touristes,
aux catacombes.
A l'entrée du quartier du Premier Régiment Etranger de Cavalerie, on aperçoit
un square défendu par un obusier d'un modèle tombé en désuétude. Au centre
de ce square est érigée une colonne tronquée qui porte en hommage les
noms des officiers de cavalerie de la Légion morts pour la France. A quelques
mètres du square, le poste est sous les armes en grande tenue. Les légionnaires
de la cavalerie, comme ceux de l'infanterie, portent les épaulettes rouges
et vertes et la vareuse kaki dont les basques sont relevées dans la classique
ceinture de flanelle bleue.A la place des bandes molletières,les cavaliers
arborent des houseaux de cuir soignesement retaillés. Les cavaliers sont
grands, blonds pour la plupart. Incontestablement la plupart d'entre eux
sont slaves. Ils sont corrects, exactement semblables aux hommes de l'infanterie.
Au loin, derrière une haie de cactus, la fanfare, trompettes et tambourins,
répète à l'ombre. Elle joue les vieilles marches de la cavalerie française.
En fumant une cigarette ,j'aperçois les flammes vertes à grenade rouge
des trompettes, les housses des tambourins et toute l'agitation ordonnée
et caractéristique d'un camp de Légion.
Je suis à Sousse pour voir la Légion, uniquement pour rôder en ami dans
cette atmosphère indéfinissable que je connais bien et où je retrouve
dans le ciel tunisien des souvenirs de Dahr Mahrès et du Guéliz. C'est
le cadre classique d'un vieux régiment bien qu'il soit de création récente.
La tradition est la même pour l'infanterie et la cavalerie. Le Premier
Régiment Etranger de Cavalerie se compose de six escadrons, un escadron
hors rang et un escadron de dépôt. Naturellement chaque escadron possède
un fanion dont les insignes brodés sont différents et rapellent un peu,
par leur esprit, les somptueux fanions des anciennes banderas de la Légion
Etrangère Espagnole telle qu'elle était quand je lui rendis visite il
y a trois ans.
Le fanion du Premier Escadron du Premier Régiment Etranger de Cavalerie
porte un léopard brodé.
Le Deuxième Escadron est celui de la grenade rouge appliquée sur un fond
rouge et noir.
Le fanion du Troisième Escadron est vert,orné d'un sanglier.
Le Quatrième Escadron qui s'illustra à Messifré porte sur un fond bleu
la croix de guerre des territoires extérieures.
L'Escadron hors rang a adopté le fanion bleu, blanc et rouge.
Le Cinquième Escadron porte sur le sien le sceau de Salomon et le Sixième
un fer à cheval.
L'Escadron de dépôt,à quelques kilomètres de Sousse, défile derrière un
fanion jaune et vert. Naturellement les galons d'or de l'infanterie sont,
dans la cavalerie de la Légion, remplacés par les galons d'argent. Le
Premier Régiment Etranger de Cavalerie fut fondé, comme je l'ai dit précédemment,
en 1920 à Saida. En 1921, il prit ses quartiers en Tunisie. Son effectif
fut constitué par des jeunes qui avaient déjà servi dans la cavalerie
et qui appartenaient aux régiments étrangers d'infanterie. Beaucoup de
Russes s'y engagèrent après les malheureuses tentatives de l'armée blanche,
en Sibèrie et en Crimée. Le Régiment Etranger de Cavalerie fut engagé
au Maroc en 1925. A cette époque le Troisième Escadron revêt la gandoura
kaki et opère maintes reconnaissances du côté de Taza. Cet escadron se
distingua tout particulièrement au combat de Tezroutine. En 1927, le Troisième
Escadron lutte encore contre la dissidence. Il rentre en Tunisie en avril
1927. C'est le Deuxième Escadron qui le relève et qui opère entre Beni-Tadjit
et Bou-Anane.Son chef, le Capitaine Thomas, est tué au cours d'une reconnaissance.
Peu à peu, le Régiment Etranger de Cavalerie prend une place importante
dans la garde du Sud-Marocain. En ce moment quatre escadrons sont disséminés
dans le Maroc et dans le Sud-Oranais. Deux de ces escadrons,je crois,
sont motorisés. La campagne si perfide et si meurtrière de Syrie fut celle
du Quatrième Escadron. Les cavaliers étrangers devinrent pour les Druses
des adversaires invincibles. C'est à Messifré que le Quatrième Escadron
acquit du mérite,comme dit le vieux lama de Kim.La Légion à cheval tient
le centre du village. Presque tous les chevaux sont tués. Malgré une ruse
des ennemis qui n'eut qu'un succès fugitif, la Légion à cheval et la Légion
à pied repoussent toutes les attaques des Druses et les contraignirent
à abandonner leur entreprise. Ceci se passait en septembre 1925.
Le 19 septembre, le Quatrième Escadron reçoit l'ordre de défendre Rachaya
coute que coute, peut on lire dans le journal de marche du Quatrième Escadron.
Ce combat,qui dura quatre jours de luttes acharnées, est à l'honneur de
l'Escadron Landriau qui eut 58 tués. Pendant quatre jours, les légionnaires
démontés luttèrent pied à pied pour défendre la petite citadelle, malgré
l'abandon de poste des gendarmes libanais. La citation suivante, accordée
au Quatrième Escadron, résume essentiellement la conduite de ces braves:
"Chargé de tenir la citadelle de Rachaya, l'a défendue pendant quatre
jours contre les assauts successifs de l'ennemi. A écrit entre ces murs,vestiges
du glorieux passé de nos ancètres, une page de légende qui rivalise avec
les plus beaux faits d'armes de nos guerres lointaines. A tenu jusqu'à
la dernière cartouche et permis l'arrivée des colonnes qui ont repoussé
les rebelles"
Rachaya peut bien devenir le Camerone du Régiment Etranger de Cavalerie.
En 1926,l'escadron fait partie du groupe mobile chargé de prendre Soueida.
Il appartient ensuite à la colonne du Général Andrea. Il est enfin relevé
par le Premier Escadron et revient à Sousse.
En 1927, le Premier Escadron du Premier Régiment Etranger de Cavalerie
rentre à son tour en Tunisie. Telle est l'histoire de la Légion Etrangère
à cheval. Elle est brève, mais chargée d'exploits. Précédant l'Etendard
et son fanion, le Colonel peut étre fier de commander un tel régiment.
Sur la route de Kaalashira, les légionnaires défilent, mousqueton à la
grenadière, baionnette au coté et sabre fixé sur la selle, à la spahi.
C'est un spectacle devenu rare qu'ils offrent, un spectacle comparable
à une image ancienne, une des dernières images de soldats parmi les dernières.
Pierre MAC ORLAN : extrait de l'ouvrage "la Légion Etrangère" édité en
1933.
La relève de la garde. Sousse .6/6/1933.
(photographie collection privée)
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